Le président de la transition, le colonel Mamadi Doumbouya, était le jeudi 21 septembre 2023,
à la tribune de l’ONU pour prononcer son discours dans le cadre de la 78ème session ordinaire de l’assemblée générale de l’organisation. Nous vous livrons ci-dessous l’intégralité dudit discours diversement apprécié en Guinée. Lisez…
« Monsieur le Président,
Excellences Mesdames et Messieurs les Chefs de délégation,
Monsieur le Secrétaire général,
Je voudrais avant de commencer, Monsieur le Président, vous adresser les chaleureuses félicitations de la délégation guinéenne pour votre brillante élection à la présidence de la 78ème session ordinaire de lAssemblée générale des Nations Unies.
Je voudrais également devant cette auguste assemblée, vous assurer du soutien de mon pays.
Je souhaite par la même occasion rendre un hommage mérité à votre prédécesseur, Monsieur CSaba Kőrösi de la Hongrie.
À Monsieur le Secrétaire général, Monsieur Antonio GUTERRESS, je le remercie pour le dévouement avec lequel il dirige notre organisation.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
En venant prendre part aux travaux de la 78ème session ordinaire de notre Assemblée, je voudrais macquitter dun devoir, celui de vous transmettre les chaleureuses salutations du peuple souverain de Guinée.
Mon pays qui continue de fonder un espoir en lOrganisation des Nations Unies pour trouver des solutions idoines aux questions auxquelles notre monde continue dêtre confronté. Dans ce cadre, nous pensons que les fondamentaux qui ont sous-tendu à la création de notre organisation doivent sadapter aux mutations profondes de notre société.
Lobjectif du thème de la présente session « Paix, prospérité, progrès et durabilité », est dactualité, évocateur et mérite une attention particulière de notre part.
Epidémie de coup détat en Afrique. Après celle de la Covid-19, le continent est frappé par celle des putschs militaires. Notamment dans les pays francophones du sud du Sahara. Cest tout le monde qui les condamne. Qui les sanctionne. Qui sémeut de la réapparition brusque de cette pratique que lon croyait révolu. A juste titre.
Mais jai envie de dire que la communauté internationale doit avoir lhonnêteté et la correction de ne pas se contenter de dénoncer les seules conséquences, mais de sintéresser et de traiter les causes.
Les coups dEtat, sils se sont multipliés ces dernières années en Afrique, cest bien parce quil y a de raisons très profondes. Et pour traiter le mal, il faut sintéresser aux causes racines. Le putschiste nest pas seulement celui qui prend les armes pour renverser un régime. Je souhaite que lon retienne bien que les vrais putschistes, les plus nombreux, qui ne font lobjet daucune condamnation, cest aussi ceux qui manigancent, qui utilisent la fourberie, qui trichent pour manipuler les textes de la constitution afin de se maintenir éternellement au pouvoir. Cest ceux en col blanc qui modifient les règles du jeu pendant la partie pour conserver les rênes du pays. Voilà les putschistes les plus nombreux.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je fais partie de ceux qui, un matin, ont décidé de prendre nos responsabilités pour éviter à notre pays un chaos complet. Une situation insurrectionnelle. Aucune force politique, toutes complètement neutralisées à lépoque, navait le courage et les moyens de mettre un terme à limposture que nous vivions. La rectification institutionnelle à laquelle mes frères darmes et moi avons pris nos responsabilités le 5 septembre 2021 nétait quune conséquence de cette situation de chaos qui avait finit par fissurer le tissu social et mettre à mal le vivre ensemble.
En Afrique, notamment en Afrique de lOuest, nous assistons avec lévolution de nos sociétés à des prises de responsabilités par les Forces de Défense et de Sécurité qui suscitent interrogations, réflexions et actions de la Communauté internationale. La question que nous devons nous poser face à cette situation est la suivante : pourquoi les transitions militaires maintenant ? Je ne prétends pas avoir toutes les réponses à cette question. Mais, je voudrais donner des éléments de réponse à partir de lexpérience vécue dans mon pays par le peuple de Guinée et par-delà dautres pays de lAfrique de louest confrontés aux mêmes réalités.
Sans être exhaustif, nous pensons que les transitions qui sont en cours en Afrique sont dues à plusieurs facteurs parmi lesquels on peut citer les promesses non tenues, lendormissement du peuple, le tripatouillage des constitutions par des dirigeants qui ont pour seul souci de se maintenir indéfiniment au pouvoir au détriment du bien-être collectif. Aujourdhui les peuples africains sont plus que jamais éveillés et décident de prendre leur destin en main.
La mauvaise répartition des richesses crée des inégalités sans fin, la famine, la misère qui rendent le quotidien de nos populations de plus en plus difficiles. Ces inégalités font partie des causes des événements qui mettent en péril le vivre-ensemble. Quand les richesses dun pays sont dans les mains dune élite alors que des nouveau-nés meurent dans des hôpitaux par manque de couveuse, il nest pas surprenant que dans de telles conditions nous assistons à des transitions pour répondre aux aspirations profondes du peuple.
LAfrique souffre dun modèle de gouvernance qui lui a été imposé. Un modèle certes bon et efficace pour loccident qui la conçu au fil de son histoire, mais qui a du mal à sadapter à nos réalités, à nos coutumes, à notre environnement. Hélas la greffe na pas pris…, Je sais que lorsque je dis cela, tout de suite ils sont nombreux à se dire « encore un bidasse qui veut tordre le cou à la démocratie » « encore un soldat qui veut imposer sa dictature ».
Cependant, de façon très claire, sans hypocrisie, sans faux semblant, les yeux dans les yeux, nous sommes tous conscients que ce modèle démocratique que vous nous avez si insidieusement et savamment imposé après le sommet de la Baule en France, presque de façon religieuse, elle ne marche pas. Les différents indices économiques et sociaux sont là pour le démontrer. Ce nest pas un jugement de valeur sur la démocratie en elle-même. Croyez-moi. Cest un bilan. Un constat sur plusieurs décennies dexpérimentation chaotique de ce modèle dans notre environnement. Une période où il na été question que de joutes politiques. Au détriment de lessentiel. Léconomie.
Permettez-moi de pousser lexercice de vérité un peu plus loin. Avec ma courte mais intense expérience de gestion dun Etat, la Guinée, jai mieux mesuré à quel point ce modèle a surtout contribué à entretenir un système dexploitation et de pillage de nos ressources par les autres. Et une corruption très active de nos élites. Des leaders nationaux à qui on a souvent accordé des certificats de démocrate en fonction de leur docilité ou de leur aptitude à brader les ressources et les biens de leurs peuples. Ou encore de leur facilité à céder aux pseudo recommandations et injonctions de certaines institutions internationales au service des grandes puissances.
Je dois dailleurs dans ce sens confesser que tout ce à quoi je fais face dépasse toute imagination. Se sont les mêmes qui professent la démocratie, la transparence, la bonne gouvernance, qui dénoncent la corruption, qui dictent les règles. Cest eux qui en off, très discrètement et sournoisement redoublent de pression pour nous faire céder notre patrimoine dans des contrats léonins.
Je comprends aujourdhui certains dirigeants, quelques-uns de mes prédécesseurs qui, parce quils avaient des fragilités, parce quils étaient sous pression, ou parce quils trainent des casseroles ou surtout parce quils avaient un agenda politique ont cédé à ce quon leur demandait. Je les comprends sans les approuver. Certains mont même rappelé que si javais un agenda politique je serais moins à laise pour mener à bien les réformes auxquels mon gouvernement et moi nous nous sommes attaqués.
Une chose est certaine, nous navons quune seule préoccupation. Le bien-être du peuple et le vivre ensemble. Cest cela notre priorité. Cest pourquoi la transition que je dirige a choisi de se consacrer avec méthode en fixant des objectifs clairs dans un ordre précis. Le social, léconomie et le politique.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Mon uniforme je lai mise au service de mon peuple. Je vous serais reconnaissant de respecter ce serment. De nous tenir à distance respectable des divisions de toute sorte que beaucoup essaient de nourrir dans nos pays. Le sahel traverse lune des crises les plus graves de sa très vieille histoire.
Mais elle a les ressorts nécessaires pour y faire face. Son sens légendaire de la diplomatie doit être libéré afin quensemble nous nous parlions sans interférence. Cest pour cela que la CEDEAO dont la vocation était économique doit cesser de se mêler de politique et privilégier le dialogue.
Nous africains sommes fatigués, épuisés des catégorisations dans lesquelles les uns et les autres veulent nous cantonner. La population de lAfrique est jeune. Elle na pas connu la guerre froide. Elle na pas connu les guerres idéologiques qui ont façonné le monde des 70 dernières années.
Cest pourquoi nous trouvons insultant les cases, les classements qui tantôt nous placent sous linfluence des américains, tantôt sous celle des anglais, des français, des chinois, des russes et même des turcs.
Nous ne sommes ni pros ni anti américains, ni pro ni anti chinois, ni pro ni anti français, ni pro ni anti russes, ni pro ni anti turcs. Nous sommes tout simplement pro africains. Cest tout. Nous mettre sous la coupe de telle ou telle puissance est une insulte, du mépris, du racisme vis-à-vis dun continent de plus dun milliard trois cent millions de personnes.
Il est important dans cette prestigieuse et influente assemblée que lon comprenne clairement, définitivement que lAfrique de papa, la vieille Afrique, cest terminé. Avec une population de plus dun milliard dafricains dont environ 70% de jeunes totalement décomplexés, des jeunes ouverts sur le monde et décidés à prendre leur destin en main, il est venu le moment de prendre conscience que les structures, les règles issues de laprès seconde mondiale, en labsence de nos Etats qui nexistaient pas encore sont obsolètes. Cest la fin dune époque déséquilibrée, injuste où nous navions pas droit au chapitre.
Cest le moment de prendre en compte nos droits, de nous donner notre place. Mais aussi et surtout le moment darrêter de nous faire la leçon, darrêter de nous traiter comme des enfants. Rassurez-vous nous sommes suffisamment grands pour savoir ce qui est bien pour nous.
Nous sommes suffisamment matures pour définir nos priorités, pour concevoir notre propre modèle qui corresponde à notre identité, à la réalité de nos populations, à ce que nous sommes tout simplement. Nous vous serions fort reconnaissant de nous faire confiance et de nous laisser mener notre barque comme vous lavez permis dans certaines régions du monde. En Asie, au Proche et Moyen Orient. Pour ne citer que ceux-là. Cette infantilisation est du plus mauvais effet pour une jeunesse africaine qui sest émancipée.
Je ne saurai terminer mon propos sans souligner les menaces qui hantent la sous-région de lAfrique de louest, gravement exposée, aujourdhui, à des questions de sécurité de tous ordres, de développement et de stabilité. Les populations de la sous-région naspirent quà une vie meilleure, au regard des leçons quelles ont tirées de leur histoire et de leur désir de vivre dans un espace et dans un monde de paix et de concorde avec les autres peuples du monde.
Dans ce contexte, nous sommes tous interpellés et appelés à procéder à une meilleure analyse de la situation, en vue dinitier et de poursuivre de nouvelles politiques au bénéfice de tous. La communauté internationale doit regarder lAfrique avec des yeux neufs. Elle doit entreprendre avec elle désormais une coopération franche dans un esprit de partenariat Gagnant-Gagnant.
Je vous remercie de votre aimable attention », a déclaré le colonel Mamadi Doumbouya, le président de la transition guinéenne.
Mohamed Sylla